Comment Le Bossu de Notre-Dame illustre le paradoxe artistique de Disney ?
Récemment, j’ai commencé une rétrospective des films Disney. Mon objectif était alors de visionner tous les films sortis lors de l’âge d’or de Disney, entre le début des années 1990 et le début des années 2000. La Belle et la Bête, Aladdin, Le Roi Lion, Mulan… Tous les films y sont passés et c’était pour moi l’occasion de découvrir et de redécouvrir certains films qui figuraient parmi mes préférés lorsque j’étais enfant. D’ailleurs, soyons objectif une minute : beaucoup d’entre nous sont devenus cinéphiles grâce, ou à cause de Disney. Nous avons tous grandi avec ces films et ils ont façonné tout notre imaginaire et nos références cinéphiles.
À cette occasion, je voulais revenir sur un classique Disney souvent sous-estimé, voire méconnu du grand public : Le Bossu de Notre Dame. Ce film que j’ai beaucoup visionné étant enfant m’a fait un drôle d’effet lors du revisionnage et je vais vous expliquer dans cette chronique de cinéma pourquoi je considère qu’il reflète un certain paradoxe artistique, propre à tous les films Disney. Vous êtes prêts ? Je vous dis tout !
Le Bossu de Notre-Dame : un projet controversé !
Pour commencer, il faut comprendre que le Bossu de Notre-Dame est très certainement l’un des Disney les plus controversés des années 1990. En effet, lorsque Disney fait savoir au grand public qu’ils ont pour projet d’adapter le livre de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, ils doivent alors faire face à une levée de boucliers de la part des descendants de l’auteur français.
En effet, la famille de Victor Hugo voit d’un très mauvais œil Disney lorsqu’ils choisissent d’adapter un des romans les plus sombres et violents de l’auteur. Le livre original ne fait d’ailleurs pas dans la demi-mesure et les personnages décrits sont tous emplis d’une part d’ombre plus ou moins prononcée. Religion, torture, violence, psychologie, rien n’est épargné au lecteur qui est entraîné par l’auteur dans un roman historique complexe, et gothique à souhait.
Malgré ces réticences, Disney arrive tout de même à produire son film, épaulé dans sa production par d’éminents spécialistes de la cathédrale Notre-Dame de Paris et par de très nombreux consultants français qui veillèrent au respect de l’œuvre de Victor Hugo.
Le film sort donc à l’été 1996 aux États-Unis et à Noël en France. Véritable succès public, le film se hissera à la tête du box-office français pour toute l’année 1996.
Un véritable chef-d’œuvre made in Disney !
Une histoire adaptée au jeune public !
Un succès public mérité qui s’explique en de nombreux points. Tout d’abord, il est intéressant de noter que l’histoire écrite par Victor Hugo dans son roman-fleuve a en grande partie été respectée. Disney a certes modifié de grands pans du roman pour en ôter sa violence, mais le studio n’a pas pour autant enlevé toute la dureté de l’œuvre originale. La violence physique est ici remplacée par de la violence psychologique et même un spectateur adulte sera choqué de voir à quel point le personnage de Claude Frollo peut se montrer cruel avec Quasimodo ou les bohémiens tout au long du film. L’histoire a parfaitement été adaptée pour les plus jeunes et c’est un très bon point à mettre au crédit du studio.
Des personnages attachants !
Ensuite, les personnages sont tous très attachants. Quasimodo, décrit comme un véritable monstre dans le roman, est ici très attachant de par la relation qu’il noue avec Esmeralda et Pheobus. On a de la peine pour lui qui souffre au quotidien de la cruauté de son maître Frollo. Frollo est d’ailleurs l’un des meilleurs « méchants » des grands classiques Disney. Certes il n’a pas de pouvoirs magiques ou ne peut pas se targuer d’être fort physiquement, mais c’est par son humanité que transpire toute sa cruauté. C’est la peur qui le pousse à traquer les bohémiens dans tout Paris, c’est l’amour qui le pousse à vouloir tuer Esmeralda et c’est l’orgueil qui l’oblige à prendre « soin » de Quasimodo. Tous les personnages, bons comme mauvais, sont tous très développés et ont tous leurs moments à eux. Esmeralda a ainsi une chanson où elle évoque sa condition de bohémienne lorsqu’elle acquiert l’asile à Notre-Dame ; et Phoebus a lui aussi son moment de gloire lorsqu’il décide de tenir tête à Frollo qui s’en prend alors aux citoyens de Paris.
Une musique parfaite !
L’histoire et les personnages sont également servis par une composition musicale parfaite réalisée par Alan Menken, compositeur ayant déjà officié sur La Petite Sirène, La Belle et la Bête, ainsi que sur Aladdin et Pocahontas… Un cador donc !
Rien que l’ouverture musicale, longue de 7 minutes, est un chef-d’œuvre à elle toute seule. Alternant chœur d’Église, chanson et répliques parlés, la chanson Les Cloches de Notre-Dame est la parfaite illustration de toute la majesté et la dureté de l’œuvre qui va nous être contée.
La bande originale du Bossu de Notre-Dame a d’ailleurs été nommée à l’Oscar de la meilleure partition originale en 1997. Étrangement, c’est d’ailleurs la première fois que Menken ne recevait pas l’Oscar pour une de ses compositions Disney, lui qui en avait obtenu pour tous ces précédents films.
Un film à destination des enfants ?
Forcément, en adaptant l’un des romans les plus sombres de Victor Hugo, Disney prenait des risques en ciblant un public moins jeune et peut-être plus mature.
Or, comme à son habitude, face à une prise de risque aussi grande, le studio a tenté d’adoucir le film et sa communication pour s’assurer un public jeune. Et c’est ainsi qu’on se retrouve avec l’un des seuls problèmes du film, et malheureusement pas des moindres : les gargouilles.
Le problème des gargouilles
En effet, les gargouilles posent un sérieux problème dans la narration du film. D’un côté, l’idée était très bonne puisqu’elles permettent d’illustrer le conflit intérieur que se livre Quasimodo. Il est contraint à rester dans sa tour par Frollo, cependant les gargouilles (AKA himself) le poussent à sortir et à aller à la rencontre des gens. Mais d’un autre côté, ces gargouilles sont plus qu’agaçantes puisqu’elles sont pensées comme de véritables attrape-gosses. Ce sont de véritables personnages-jouets et on sait très bien, en tant que spectateur adulte et averti, que ces gargouilles sont de véritables ajouts marketing, plus que narratifs.
Il n’y a d’ailleurs qu’à voir la chanson des gargouilles et sa piètre qualité pour comprendre que même d’un point de vue artistique, les gargouilles n’apportent rien.
Un problème récurrent dans les films Disney en général
Le cas des gargouilles n’est d’ailleurs qu’un cas parmi d’autres chez Disney. On pourrait notamment citer Mushu dans Mulan qui arrive souvent à couper la narration du film, que ce soit dans les scènes d’action au souffle épique, ou pire encore dans les scènes d’émotion qui sont nombreuses dans cet autre classique Disney.
La pire des choses pour le spectateur adulte que je suis, c’est que ce genre de personnage, pensé par des équipes marketing, plus que par les scénaristes eux-mêmes, peut parfois être tellement agaçant, qu’il arrive alors à faire sortir le spectateur du film. Ça a notamment été le cas pour moi lors du visionnage de Pocahontas. Le film explore des thématiques fortes telles que le respect de l’autre et le choc des cultures, mais il est entrecoupé de petites saynètes où un chien et un raton laveur se chamaillent à longueur de temps… Bien dommage !
Au final, à la suite de ce revisionnage des Disney made in 1990s, Le Bossu de Notre-Dame est devenu l’un de mes Disney préférés, si ce n’est mon favori. Au fil des années, l’appréciation des films évolue grandement. Moi qui étais autrefois émerveillé par la beauté du Roi Lion ne peux plus aujourd’hui passer à côté du message patriarcal, on ne peut plus douteux du film. À côté, Le Bossu de Notre-Dame est un des Disney ayant le mieux vieilli. Mieux encore, son message sur le traitement des étrangers et la folie meurtrière que peut enduire la peur porte une résonnance toute particulière aujourd’hui ! C’est donc un film très singulier que je vous encourage à voir et à réévaluer. Et pour les puristes qui en douteraient, le film a certainement plu aux héritiers de Hugo puisqu’ils ne se sont pas gênés à lancer la comédie musicale en 1998 !