Comment les films Jason Bourne ont redéfini la formule des films action-thriller ?
Après m’être intéressé aux films de David Fincher au travers d’une rétrospective consacrée au réalisateur, je voulais m’atteler à un autre exercice : une rétrospective de saga cinématographique. Parmi les nombreuses sagas qui rythment les sorties ciné chaque année, je voulais faire un focus sur une série de films majeure, sortie dans les années 2000 : les films Jason Bourne. Des films d’action-thriller à succès qui ont eu un impact majeur sur l’ensemble des films du genre sortis depuis 2002. Je vous en parle !
La mémoire dans la peau, un film visionnaire !
La Mémoire dans la peau (The Bourne Identity en VO), est le premier des films Jason Bourne à sortir sur nos écrans en 2002. Le roman de Robert Ludlum avait déjà été adapté en téléfilm à la fin des années 1980 et s’il reprenait la trame du roman, à savoir la traque du terroriste Ilich Ramírez Sánchez, le film réalisé par Doug Liman prend ses distances avec le roman, situant son action dans le monde contemporain.
On suit donc le parcours d’un naufragé amnésique, Jason Bourne, qui mène une quête personnelle pour découvrir son identité et la raison pour laquelle des agents de la CIA le traquent partout où il va. Il est accompagné dans sa quête par Marie Kreutz et se retrouve pendant la plus grande partie du film à Paris, où il espère trouver des réponses sur son passé.
Si le film peut être qualifié de visionnaire, c’est en grande partie dû à sa période de production. L’idée d’un film Jason Bourne germait dans l’esprit d’Universal depuis les années 1990 et le retour en fanfare de la saga James Bond avec Pierce Brosnan. Le public semblait friand de films d’action-espionnage et Universal n’avait alors aucune saga pour conquérir ce public.
Le film est donc mis en chantier en 2000 pour une sortie en fin 2001. Malheureusement, les attentats du 11 septembre repousseront la date de sortie à 2002.
Le film que nous avons donc vu en salle est une version remontée de la Mémoire dans la peau suite aux évènements survenus. Et forcé de constater que le film était déjà en avance sur son temps.
Tout son propos sur la surveillance généralisée et l’emploi de tueurs à la solde des gouvernements n’est pas sans rappeler la politique interventionniste du président George W. Bush suite aux attentats de 2001 en Irak et en Iran, avec notamment le lancement de « Black Ops » pour renverser les régimes locaux.
Ensuite, la réalisation du film est aux antipodes des films d’espionnage qui sortaient à l’époque. Les films tels que Meurs un autre jour et Mission Impossible 2 étaient alors renommés pour leurs effets spéciaux et une certaine tendance à l’icônisation et la grandiloquence. La Mémoire dans la peau va quant à lui jouer sur le registre du réalisme et de la plausibilité. Les acteurs, Matt Damon et Franka Potente, sont choisis car ils incarnent une certaine vision de la normalité. Jason Bourne est un monsieur tout le monde qui sait se faire discret, se noyer dans la masse, ce qui accroît sa dangerosité. Les films Jason Bourne étaient donc les premiers à jouer cette carte du réalisme dans le genre des films d’action-thriller.
La Mort dans la peau, la Vengeance dans la peau : Paul Greengrass prend les commandes !
Si Doug Liman a su imposer son style et sa narration réalistes au travers de la Mémoire dans la peau, c’est bien Paul Greengrass qui donnera ses lettres de noblesse aux films Jason Bourne. En effet, ce réalisateur, connu pour ses documentaires et son film Bloody Sunday, a réussi à imposer son style caméra à l’épaule à travers tout Hollywood.
Souvent copié, mais jamais égalé, Paul Greengrass a construit avec ces deux suites un style unique dans la réalisation et le cadrage des scènes d’actions. La caméra est en effet un véritable personnage des films Jason Bourne et Greengrass n’hésite pas à la faire cogner contre les murs lors de scènes de bagarre ou lors de courses poursuites dans des couloirs étroits. Jamais l’action n’avait été filmée de cette façon et elle sert parfaitement la narration des films.
Dans la Mort et la Vengeance dans la peau (The Bourne Supremacy & The Bourne Ultimatum en VO), Jason Bourne se transforme en véritable lanceur d’alerte. Il souhaite se venger de la CIA qui lui a volé sa vie, quitte à y laisser sa peau. La paranoïa est donc au cœur de ces deux volets des films Jason Bourne et en les revoyant aujourd’hui, on peut clairement dire que ces films et leurs scénarios illustrent à merveille la paranoïa qu’engendrera quelques années plus tard l’affaire Snowden.
L’influence des films Jason Bourne sur le paysage cinématographique
Les films Jason Bourne, à travers leur propos réaliste et leur réalisation coup de poing ont eu un énorme impact sur les films sortis dans les années 2000 et 2010.
Prenons le cas des films James Bond. La quadrilogie de Pierce Brosnan, sortie entre 1995 et 2002 était emprunte de tradition bondienne. On retrouvait des gadgets à gogo, des cascades grandiloquentes et des explosions en veux-tu en voilà… Sans qu’on ne ressentait pas la moindre crainte pour le personnage, érigé en mythe. Casino Royale, reboot de la franchise James Bond sorti en 2006, est aux antipodes des films de Pierce Brosnan. On y retrouve le style caméra à l’épaule cher à Greengrass, mais on découvre surtout un James Bond violent et vulnérable, chose qui n’était quasiment jamais arrivée dans une saga vieille de 50 ans.
Mais l’impact des films Jason Bourne ne se limite pas aux films d’action-espionnage. Il s’illustre également dans le genre phare des films de super-héros. Prenons par exemple le personnage de Batman. À la fin des années 1990, les films sur l’homme chauve-souris semblaient plus tenir du cartoon en live action, que du film à part entière… Lorsque Christopher Nolan reprend la saga en 2005 avec Batman Begins, il fait le choix d’une narration très réaliste, très post-11 septembre. Ce virage à 180 degrés sera même suivi par Marvel qui, lorsqu’ils démarrent en 2008 le Marvel Cinematic Universe avec Iron Man, font le choix d’une narration plus « réaliste » (avec de gros guillemets). Comme si l’époque guidait naturellement les films à ce genre de narration.
Quand la réalité rattrape la fiction…
Si les films Jason Bourne étaient en avance sur leur temps et sur les questionnements de leur époque, ils n’ont cependant pas résisté aux années 2010. La fin de la Vengeance dans la Peau clôturait très bien la trilogie entamée en 2002 par la Mémoire dans la Peau et l’histoire de Jason Bourne était terminée.
Tant est si bien que les films Jason Bourne l’héritage (The Bourne Legacy en VO) et Jason Bourne, sortis en 2012 et 2016 n’ont pas connu le même succès que leurs aînés, que ce soit auprès du public ou auprès des critiques. Certes sympathiques, ils n’étaient cependant que des redites des films précédents et avaient perdu en efficacité scénaristique.
L’affaire Snowden n’a fait qu’accentuer notre paranoïa sur la capacité des gouvernements à espionner leurs concitoyens et par conséquent, les nouveaux films Jason Bourne ont eu un impact moindre sur l’esprit des spectateurs.
Pour conclure cette rétrospective des films Jason Bourne, je tenais à dire que malgré le temps, cette saga reste toujours aussi parfaite. La trilogie originale est un véritable chef-d’œuvre du genre action-thriller qui a façonné le cinéma post-11 septembre et les deux suites qui ont suivi restent agréable à regarder malgré une efficacité narrative moindre. C’est une saga majeure qu’il convient de voir pour s’éveiller à l’impact du monde extérieur sur les œuvres de fiction cinématographiques.